Toussaint à BagdadPar Hubert Debbasch pour Témoignage Chrétien.
Dans un long témoignage qui nous est parvenu mercredi matin, Hubert Debbasch, PDG de Témoignage chrétien, actuellement à Bagdad, raconte les événements de ces derniers jours vécus aux côtés des chrétiens irakiens.
Dimanche 31 octobre, 16 heures : le père Adel S.*, ordonné en juillet dernier, me salue : « Je vais célébrer la messe à St. Luc *, à tout à l’heure ! ».
Quelques heures plus tard, nous apprenons par les chaines satellites qu’il se passe quelque chose de grave dans l’église Notre Dame du perpétuel Secours, toute proche de celle où notre ami est parti. L’angoisse monte. Nous essayons de l’appeler mais sans succès. Nous essayons d’y aller mais le quartier de Quarrada est entièrement fermé par les forces de sécurité.
Une heure après, il arrive dans notre église : « Nous avons entendu une première bombe exploser et une religieuse m’a demandé d’arrêter la célébration. J’ai continué la messe en disant à tous de partir s’ils avaient peur. Tout le monde est resté ».
Ce jeune prêtre de 24 ans est rentré après avoir accompli sa mission dans cette paroisse. Mais c’est là que le pire a commencé : le père Wassim Sabieh, 27 ans, et le père Thaar Abdalla, 32 ans, sont pris en otage dans leur église avec la communauté.
Je passe la soirée puis la nuit avec le Père Adel S. et le père Boutros K*. Les multiples tentatives d’appel aux prêtres otages sont vaines, personne ne répond. Les chaînes de télévision et Internet donnent des nouvelles qui se contredisent totalement. On finit par apprendre l’horreur : sept morts. Les deux prêtres font partie des victimes. Le troisième est entre la vie et la mort.
Nuit de larmes et de consternation. On croyait en rester là quand on apprend qu’une autre bombe vient d’exploser dans l’église. Bilan de la messe : 53 morts. Boutros K. me rappelle qu’en général la plupart des blessés meurent dans les jours qui suivent par manque de soins appropriés.
TOUSSAINT
Lundi 1er novembre, le matin. La fête de la Toussaint n’existe pas ici. Pas de messe donc. Mais je ne trouve pas Adel S. « Il est allé à la morgue pour voir ses amis ». Quand il revient, il me montre les photos des corps criblés de balles de ses deux amis prêtres : « Je suis en paix maintenant. Je les ai revus ».
De fait, je sens en lui des forces nouvelles. La veille nous avons dû le porter pour l’aider à monter les escaliers alors qu’il est plus jeune que moi et en bonne santé. Après cela nous allons à l’église : des lambeaux de chair sont encore collés aux bancs et même le plafond de cette église très haute et élancée porte les traces du sang. Probablement celui d’un kamikaze qui s’est fait exploser. Ou celui d’une victime innocente qui était toute proche de lui. Ou les deux peut-être.
La colère gronde dans les communautés chrétiennes du pays. Le quartier dans lequel le drame est arrivé est le plus sécurisé de la ville. Pour y parvenir il faut passer des dizaines de check points dans lesquels tout est sondé, notamment la présence de bombes.
Colère contre le patriarche chaldéen qui a clairement dit à Rome qu’il avait la charge d’un million de chrétiens qui vivaient en paix en Irak. Colère contre le gouvernement et sa faiblesse. Colère contre tous les complices de ce drame, connus ou supposés.
Certains se décident fermement à quitter l’Irak au plus vite et le disent. Des amis policiers ne cessent de me dire avec leur anglais approximatif : « Iraq bad !». J’essaye de leur exprimer mon attachement à ce pays et de leur dire que leur pays est bon en dépit de tout.
On apprend aujourd’hui que l’un des terroristes, après avoir fait exploser l’autel et avant de tuer un nouveau groupe de chrétiens, s’est mis à crier des versets du Coran. Des amis musulmans me disent : « Un tel homme ne peut rien avoir de religieux ». Je les approuve fermement.
FUNERAILLES
Mardi 2 novembre. Jour des fidèles défunts chez les catholiques romains. Ici, jour des funérailles de toutes les victimes du carnage dans l’église syriaque catholique l’avant-veille. Quand les cercueils rentrent toute la foule applaudit. Quand les corps des deux prêtres sont portés toute l’assemblée frappe des mains plus fort encore, acclame, pleure, chante, prie.
L’église accueillait bien plus de monde qu’elle n’en peut contenir. Des centaines de personnes se tenaient au-dehors par manque de place. Des banderoles apportées par des cheiks musulmans témoignent de la solidarité avec les chrétiens dans ce drame.
Il y a eu dans cette célébration œcuménique d’une heure et demie quelque chose d’étonnant : ce ne sont ni la tristesse ni la révolte qui l’emportaient. Il y avait presque de la joie, en tout cas beaucoup de fierté, de dignité, et une vive émotion. Si comme le disait Tertullien le martyre est « semence de chrétiens », il va y en avoir beaucoup…
Des photos des deux prêtres sont brandies jusque devant l’autel. Une photo terrible d’un jeune couple qui venait de se marier et qui a fait partie du lot de victimes me touche particulièrement. A l’issue de la cérémonie je retrouve un ami sur le toit d’une voiture : il s’accroche au cercueil de l’un des prêtres et me salue ; je lui offre un chapelet ramené de Bethléem et il m’offre une cigarette.
Une foule immense accompagne les cercueils vers le cimetière. Les forces de l’ordre sont présentes à la mesure de leur incapacité à empêcher de tels désastres. Si le but de tels actes de terreur est de faire peur aux chrétiens c’est raté : ils sont venus plus nombreux que jamais.
Au moment où j’allais achever ces lignes mon ami Boutros K. vient vers moi : « Rappelle-toi bien cela Hubert : nous ne quitterons pas l’Irak parce que c’est notre pays ».
Au moment où je conclus cette soirée nous vivons sous un couvre-feu. Cette fois-ci ce sont les chiites qui ont été victimes de près d’une vingtaine d’actes terroristes simultanés. A qui profitent ces crimes ?
* Par souci d'anonymat, les noms de personnes et de lieux ont été modifiés.
lundi 8 novembre 2010
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